Lait Les industriels déclenchent les hostilités
Avançant que l'écart de compétitivité avec l'Allemagne est intenable, les industriels privés refusent d'appliquer les hausses du prix du lait qui découlent de l'accord du 3 juin 2009.
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«Combien allez-vous payer le lait en avril ? » Cette question revient plusieurs fois lors de l'assemblée générale de l'association des producteurs livrant à la laiterie de Craon, en Mayenne. Mais ce 23 mars, les 200 éleveurs réunis restent sans réponse de Patrice Guilloux, le directeur-adjoint des approvisionnements de Lactalis.
L'atmosphère est houleuse. « Voulez-vous vraiment des producteurs demain en France ? Quels sont vos bénéfices ? Nous voulons des perspectives, mais s'il s'agit de produire davantage pour moins de revenus. On dit non ! »
Cette tension illustre l'ambiance qui règne aujourd'hui dans la filière laitière. Le 18 mars, les industriels privés ont une nouvelle fois fait trembler les murs de l'interprofession. La Fédération nationale des industries laitières (Fnil) a mis le feu aux poudres lors de la réunion de l'interprofession nationale sur le prix du lait.
Il s'agissait de déterminer l'évolution des indicateurs des marchés laitiers pour le deuxième trimestre. Ces chiffres servent aux interprofessions régionales (Criel) pour calculer l'évolution du prix du lait.
L'accord du 3 juin 2009 débouche sur des hausses allant de 5,7 % à 11,6 % selon le mix-produit des entreprises (+ 15 à + 30 €/1 000 l). Ce qui amènerait le prix du lait autour de 250 €/1 000 l en moyenne. Rien de bien réjouissant.
C'est déjà trop pour la Fnil, qui refuse de « cautionner » ces indicateurs car ils « masquent la réalité économique en occultant les écarts de prix avec nos principaux concurrents ».
Son argument majeur : la perte de compétitivité de la filière française, « avec un prix du lait supérieur de 15 % en 2009 à celui payé en Allemagne, notre principal client et fournisseur ».
La Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL) partage ce diagnostic. « Il faut aussi tenir compte de la valorisation du beurre et de la poudre », ajoute Christèle Josse, sa directrice.
Cependant, la méthode brutale de la Fnil ne convient pas à la FNCL, qui entend travailler à « une nouvelle régulation » au cours du deuxième trimestre, pour l'appliquer à partir du troisième trimestre.
Ce problème de concurrence avec nos voisins d'outre-Rhin n'est pas nouveau. Pourquoi donc une telle urgence à l'intégrer dans l'accord, au risque de faire imploser l'interprofession ? « Aujourd'hui, il faut se raccrocher au nord de l'Europe », affirme Jehan Moreau, directeur de la Fnil.
« Ils se fichent de nous ! »
Les producteurs soupçonnent plutôt l'impact du changement de direction chez Lactalis, ou tout simplement la mauvaise volonté des industriels à payer.
« Ils se fichent de nous, lâche Henri Brichart, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Les producteurs ont fait des efforts avec la réécriture de la grille (NDLR : qui abaisse les prix au premier trimestre mais les revalorise au deuxième), et au moment où ils en recueillent les fruits les transformateurs n'en voudraient plus ? C'est d'autant plus inacceptable que les résultats financiers de groupes, comme Bongrain, ont été confortés en 2009. »
Cette remise en cause de l'accord tombe plutôt mal pour la FNPL, à la veille de son congrès annuel les 14 et 15 avril.
Pour Henri Brichart, « c'est une véritable provocation. La FNPL n'est pourtant pas sourde aux arguments des industriels sur la compétitivité. Nous sommes disposés à travailler dessus, à condition que les transformateurs soient transparents et acceptent de mettre sur la table les différents critères (prix, marge, volumes…). Cette transparence sera un point clé des futures discussions sur la contractualisation ».
Mais le dossier s'annonce mal... Au sein de l'interprofession, le rapport de force est aujourd'hui très défavorable aux producteurs, qui l'accentuent par leurs divisions syndicales. Sur le terrain, quelques rares actions ont été organisées. Les FDSEA et les JA de l'Orne et de Loire-Atlantique ont bloqué des usines Lactalis à Laval (Mayenne) et à Bouvron (Loire-Atlantique) le 21 mars.
Négociations régionales
L'Apli a allumé des feux symboliques le long des routes dans plusieurs départements. « Un ultime avertissement avant le durcissement du mouvement », prévient-elle. Si la Fnil comptait infliger un électrochoc salutaire à la FNPL pour l'aider à reprendre le leadership, le pari est risqué.
La balle est aujourd'hui dans le camp des régions. Le Centre devait entamer les discussions le 24 mars, suivi par les autres Criel les jours suivants. Il est probable que les coopératives suivent les indicateurs transmis par la FNPL. Parmi les privés, Danone a annoncé à ses livreurs qu'il respecterait également l'accord du 3 juin.
Tout est suspendu aux décisions des deux poids lourds, Lactalis et Bongrain, qui tentent de relativiser. « Il existe des perspectives pour l'avenir, argumente Patrice Guilloux, à Craon. La population mondiale augmente et on va finir par sortir de la crise. »
Un éleveur conclut amèrement : « Avant de voir des jours meilleurs, combien d'entre nous seront tombés ? »
Les transformateurs s'abritent derrière la concurrence allemandeLa compétitivité face à l'Allemagne revient régulièrement sur la table. Pourtant, « quand on fait le bilan sur plusieurs années, par exemple entre 2005 et 2009, les deux pays sont à peu près au même niveau », reconnaît Jehan Moreau. Ainsi, l'écart de prix était à l'avantage de la France en 2008, et à celui de l'Allemagne en 2009 (voir ci-dessus). A la fin de l'an dernier, les cours sont revenus au même niveau. « L'écart risque de se creuser de nouveau en 2010. Or les industriels ne veulent pas se retrouver de nouveau avec une différence significative. Désormais, ils veulent coller au prix allemand. » « On ne peut pas rester déconnecté des stratégies des concurrents », renchérit Christèle Josse, de la FNCL. Pour autant, fallait-il s'affoler au point de mettre à mal l'accord du 3 juin ? La FNPL est dubitative. « S'accrocher à un pays qui affiche un prix du lait très réactif ne nous paraît pas un gage positif, ni pour le producteur ni pour le consommateur, estime Henri Brichart. La compétitivité ne se mesure pas uniquement au prix d'achat du lait. Ainsi, la valorisation du lait en France est sensiblement plus élevée qu'en Allemagne, autour de 20 %. De plus, selon les estimations de la FNPL, l'écart France-Allemagne passerait de 35 €/1 000 l en 2009 à environ 5 €/1 000 l au deuxième trimestre 2010. » |
Vers une hausse du quota de 2 % pour la prochaine campagneLe 18 mars, le conseil lait de FranceAgriMer a validé la proposition d'augmenter le quota national de 2 % (1 % de hausse gelée par la France en 2009-2010 et 1 % de hausse en 2010-2011). Le volume supplémentaire serait redistribué aux régions. A charge pour elles de les attribuer aux producteurs selon leurs propres critères (JA, producteurs d'avenir en capacité de produire davantage…). Pour la FNPL, la FNCL et la Fnil, qui ont voté pour, il s'agit de ne pas laisser les pays du nord de l'Europe prendre de l'avance en termes de volumes produits. Une légère hausse de quota permettra aussi de « laisser respirer les producteurs». La Confédération paysanne s'est opposée à cette hausse de 2 %, car elle estime que produire davantage en période de surproduction ne pourra qu'entraîner le prix du lait à la baisse. L'OPL s'est abstenue lors du vote, partagée entre le fait qu'augmenter les quotas « remettra encore plus de lait sur le marché », et le fait que la France ne peut pas être le seul pays d'Europe à réguler sa production laitière. |
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